Jusque là, il avait passé sa vie à travailler pour des propriétaires terriens comme ouvrier agricole, dans cette Espagne rugueuse, sur ces terres d’Extremadure défavorisées, impitoyables et pauvres. Mon père, qui pour quelques pesetas par jour ou par are, passa sa jeunesse à faucher, battre les grains au fléau, et labourer juste à l’aide de deux mules et d’une charrue. Mon père aux mains fatiguées, qui ne pouvait même plus porter son alliance à force de labeur. Le travail de la terre a quelque chose de noble, et les mots qui le racontent sont souvent beaux, poétiques, mais qu’il était dur de travailler avec si peu de moyens ! Et combien de temps encore serait il possible de faire face à autant d’âpreté?
Tous les soirs en rentrant des champs mon père, passait par la petite maison de mon grand père et donnait à manger au peu de cochons et de vaches qu’il avait alors.
Ces cochons engraissés pendant deux ans et nourris exclusivement de pâturages et céréales au printemps, comme en été et de bellotas pendant les autres saisons -exactement comme aujourd’hui – étaient vendus à des industriels de Salamanque et négociés à des prix dérisoires. Ils les emportaient pour les transformer en jambons et chorizos vers leur province, terre propice au séchage de la charcuterie.
Dans mes souvenirs d’enfant, je revois encore ces hommes endimanchés arrivés chez nous au volant de grosses Mercedes, un cigare à la bouche ….
Il fallait changer le cours des choses. Et c’est donc en 1978 que mon père et quelques autres éleveurs commencèrent à transformer dans leur région, notre région, dans leurs villages, nos villages, leurs propres porcs Ibériques. Le chemin fut difficile, et quelquefois chaotique. Un parcours éclairé par les joies, les succès, l’affection et les encouragements des amis de toujours, morose aussi de temps à autre, de par les échecs, les déceptions, la jalousie, les amis encore, mais ceux qui s’en vont…
Néanmoins tout est possible à qui continue de croire, se donne la peine et ne baisse jamais les bras. Mon père est de cela, c’est un homme passionné, courageux, travailleur. Il lui fallait tout comprendre et tout connaitre de ce monde entrepreneurial qui deviendrait alors sa seconde passion. Il a passé de longues nuits à lire pour percer les mystères de l’économie, du fonctionnement des entreprises, du marché, de longues nuits à calculer, recompter, estimer, évaluer, les coûts, les profits et j’en passe, pour arriver à équilibrer les comptes. Tout était entre ses mains, et nous, famille comme associés étions quelquefois peu attentifs à ses explications ou justifications d’administrateur. Sans relâche, il continuait à écrire l’histoire …
En 2004, l’entreprise, dirigée par mon père, avait fait du chemin et c’était, alors, jusqu’à 4000 porcs Ibériques qui pouvaient être transformés chaque année. La qualité des produits, le sérieux et l’attention portée à nos clients, ont ainsi fait d’Ibesurex, une marque reconnue au niveau national.
Quelques printemps plus tard, en 2010 mon père prit sa retraite, deux ans avant une terrible crise financière qui a modifié le cours de nos vies. Avec le soutien de Nuria, mon épouse, je décidai alors de quitter mon métier de vétérinaire de campagne pour reprendre les rênes de l’entreprise , et faire mienne la marque Pata Negra Ibesurex ( Ibericosdel Sur Extremeno). Nous avons transféré le siège et 90 % de notre marché de l’autre côté des Pyrénées. L’aventure se poursuit en France depuis lors grâce à Françoise, Jean Claude et toute la famille Gonzalez à Montauban qui nous ont ouvert la voie. Merci a eux de tout cœur.
Calera de Leon : c’est là bas que tout a débuté. Aujourd’hui la ferme familiale appartient à mon frère José Joaquin, et les produits commercialisés depuis 2017 par Ibesurex France viennent tous de cette terre des origines.