Chorizo Bellota : l’heure de la charcuterie ibérique

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CHARCUTERIE IBÉRIQUE : CHORIZO BELLOTA, ET BIEN PLUS. (TUE-COCHON 2ÈME PARTIE)

« Chorizo bellota, morcón, salchichón, morcillas, manteca, lomo… ». Aujourd’hui c’est le grand jour de la « chacina » (charcuterie) ibérique. C’est la deuxième et dernière journée de tue cochon chez David et Núria. Eh bien, certains d’entre nous, ne se sont pas activés à temps ce matin… et, logiquement, nous sommes arrivés en retard. Certains disent qu’il est beau se lever du jour. Mais impossible de nous lever tôt ce matin… la nuit précédente, il faut le dire, fut une nuit bien longue et animée.

De toute façon, le tue-cochon a continué sans nous, le travail de découpe ne s’arrête pas. En effet, le découpage est pratiquement fini. Sur les tables s’étend une géographie éphémère de morceaux de viande de porc parfaitement organisée en fonction de leur prochaine utilisation. C’est tout un arsenal minutieusement classé, destiné à la consommation immédiate ou différée, la charcuterie ou la conserve. On y trouve des morceaux et des pièces pour tous les goûts et pour toutes sortes d’élaborations. Il y en a pour cuire, frire, saler, assaisonner, sécher, farcir, hacher, rôtir, braiser, griller, maturer au séchoir, conserver en saindoux dans les « orzas » (pots en terre cuite)… Et une année entière, devant la famille, pour les consommer quotidiennement.

LA RECETTE DU CHORIZO BELLOTA ?

Comme toujours, les femmes les plus expérimentées (« las matanceras ») préparent les farces et les mélanges pour assaisonner les charcuteries (« morcón, chorizo bellota, salchichón, morcilla, pringue… »). Chaque famille possède sa propre recette pour chaque spécialité et chaque femme lui donne sa touche particulière.

Elles n’ont pas de secrets, les ingrédients sont tous bien visibles. D’abord les boyaux, le lard et les viandes plus ou moins hachées, selon les spécialités charcutières  pour lesquelles elles sont destinées. En outre les ingrédients pour les mélanges : sel, ails, « pimentón dulce », « pimentón picante », poivre et autres épices, gras, herbes aromatiques…

Mais c’est absurde prendre note, c’est une recette impossible : ici rien ne se pèse, rien se mesure, tout se goûte et tout se sent. Toutefois, on n’a pas le droit à l’erreur. Tout est calculé à vue de nez, les condiments soigneusement sélectionnés et, miracle, précisément dosés.  C’est en tout cas une  magistrale leçon de charcuterie et de savoir faire à l’ancienne. Autrement dit, à la façon des femmes de la famille et du village de David et Núria.

IL FAUT S’ARRÊTER POUR MIEUX CONTINUER.

Il est un peu plus de dix heures du matin. On annonce un très bon moment autour de la table, un moment sucrée pour se reposer et récupérer des forces. Cela est si vrai que la table est déjà entièrement couverte de confiseries typiques faites maison pour les femmes de la famille. Une montagne de « roscos, gañotes, pestiños »… (gâteaux typiques à base d’œufs, de farine et de miel, et aromatisés avec orange ou citron et frits avec de l’huile d’olive). Et pour boire café, anís, cazalla, brandy… Tous les ingrédients pour une matinée inoubliable entre amis.

Après avoir calmé la faim, bu, fumé, bavardé, ri… ensemble, on s’apprête à reprendre le travail. Il reste encore beaucoup à faire et, en plus, il faut le terminer aujourd’hui. C’est l’heure du remplissage des boyaux : kilos et kilos de farces, mètres et mètres de boyaux. D’abord le chorizo bellota et le « morcón », puis les saucissons et les petits chorizos. Tout le remplissage est fait à la main, ou plutôt : avec une ancienne machine actionnée manuellement. Pour terminer, demain matin, les jambons, le « lomo », la coppa et le lard seront déposés au saloir, pour les sécher et affiner ultérieurement.

Le travail en charcuterie avance bien, la journée se passe bien. Après notre repas dans un des bars du village, les hôtes et les convives, faisons une agréable promenade dans l’air. De plus nous en profitons pour visiter une dehesa pour voir les cochons pata negra dans son « habitat naturel ». De façon divertissante et sans effort, David et Núria  font tout pour nous transmettre leur savoir-faire et leur passion pour le pata negra. Mais notre expérience dans le terroir du pata negra et du tue-cochon, touche désormais à sa fin. Le temps du départ est venu.

ENCORE QUELQUES MOTS SUR LE TUE-COCHON.

Depuis les temps anciens, l’arrivée des premiers froids annonce le début de la période de l’abattage du porc. Formellement, c’est le onze Novembre, avec la fête de Saint Martin, qui marque la date. Mais c’est de décembre à février que la plupart des familles pratiquent le tue-cochon.

La Saint-Martin est une date et une tradition communes en France et en Espagne. Ce n’est pas un hasard si, nous partageons les mêmes dictons : « À chaque porc vient la Saint-Martin », « A cada cerdo le llega su San Martin ». Parce que pendant des siècles, le cochon fut la base de l’alimentation protéique dans la majorité des campagnes espagnoles et françaises.

Autrefois, c’était l’événement saisonnier de l’hiver par excellence dans les zones rurales. Cette fête représentait, au-delà de l’aspect religieux (la Saint-Martin), la fin du cycle agricole annuel avant l’hiver. C’était la fin des travaux dans les champs et une occasion exceptionnelle de convivialité entre familles et voisins.

AUJOURD’HUI COMME HIER : D‘ABORD, ÉLEVER LE COCHON.

L’élevage du cochon destiné à la consommation familiale était/est de grande valeur, particulièrement aux ménages à faibles ressources. C’est un approvisionnement de viande pas chère, de qualité et, naturellement, fait maison. Que demander de plus ?

En plus, à la campagne, il est facile d’élever votre propre cochon. On achète le porcelet au printemps et on le nourrit pendant tout le reste de l’année pour l’engraisser. Comme chacun le sait, les cochons mangent goulûment, absolument tout ce qui se présente. Mais sans oublier qu’une bonne nourriture fait un bon cochon… Alors, profitez en pour lui réserver les pelures de fruits et des légumes, les restes de repas, le pain dur… Et aussi un environnement propre et, si possible, avec un ample espace en plein air.

Ma belle-mère me raconte qu’au début, ils faisaient paître le cochon sur des herbes, chaumes et des résidus de culture. Et plus tard, quand arrivait le temps des figues, relâchaient son cochon entre les figuiers et les « bruños ». (Il s’agit des fruits des pruniers sauvages de la variété prunus espinosa). C’était la première phase d’engraissement, l’apéro du cochon avant la « montanera » (la glandée). Plus tard, au fin d’octobre commençait la « montanera », deux/trois mois de véritable ripaille à la campagne : glands, herbes fraîches, châtaignes… Les meilleur légumes font le meilleur chorizo bellota.

Ce furent des temps durs et difficiles, entre la faim et la misère, un cochon de basse-cour représentait la tranquillité d’un garde-manger bien plein dans l’avenir. On peut donc dire que cette grande bête était l’enfant choyé des familles humbles des villages de l’Estrémadure. Mais cela c’est une autre histoire…

Texte de Rogelio Herrera (VALENCIA)

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